Florent RICHARD

« MOINS ON PERÇOIT NOTRE INTERVENTION, PLUS ELLE EST RÉPUTÉE RÉUSSIE »

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Architecte du patrimoine, associé à l’architecte en chef des monuments historiques Alain-Charles Perrot, Florent Richard revient sur le projet « Les Réunis » de transformation des Grands Magasins de Troyes en un espace de multi activités.

Florent RICHARD HD

Florent RICHARD
Architecte
Dirigeant associé de l’agence PERROT & RICHARD Architectes

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Propos recueillis par Olivier WACHÉ

O-W.Votre expertise en architecture du patrimoine et des monuments historiques a-t-elle été un point essentiel pour le projet « Les Réunis » ?
A-V-K.
Nous connaissons bien les problématiques des grands magasins. Pour ceux de Troyes, le Groupe Galia souhaitait un éclairage sur ce sujet patrimonial complexe et vaste qui demandait une analyse fine. Comme dans beaucoup de grands magasins, les surfaces d’origine ont été modifiées au fil du temps pour assurer un maximum de surface de vente, au détriment de la qualité des espaces.

O-W.En quoi ces établissements sont-ils particuliers ?
A-V-K.
Il faut beaucoup d’imagination pour comprendre ce que ces lieux ont été, avec leurs volumes et leur organisation spécifiques. Avec les atriums, les escaliers monumentaux, les galeries superposées, ils étaient grandioses et féériques. Les décors sublimes étaient réalisés par des artistes à la mode. Il faut aussi se souvenir que les grands magasins ont joué un rôle dans l’émancipation de la femme au 19ème siècle. Alors que jusquici, on faisait venir les fournisseurs chez soi, sous la tutelle du chef de famille, chacun est désormais libre d’entrer dans ces lieux, d’y déambuler, sans obligation d’achat. On y trouve tout type d’article, il s’y passe toujours quelque chose…

O-W.Quelle a été votre approche pour Les Réunis ?
A-V-K.
Nous avons produit une étude quelque peu « décoiffante » pour un promoteur : réduire les surfaces pour valoriser celles qui restaient, et faire ainsi ressurgir ce qui était sous-jacent. En effet, les modifications du programme initial engendrent souvent des absences de vue, des déficits de lumière naturelle, des espaces qui semblent écrasés. Avec notre projet, nous retrouvons les grands vides existants, pour en faire des patios et des jardins suspendus. Cela permet de coller à la structure du bâtiment avec ses charpentes, ses rivets de métal, sans avoir à tout démolir. Nous avons proposé une séparation des programmes, avec la zone commerciale située sur les niveaux inférieurs, et l’offre hôtelière et de restauration dans les étages.

O-W.Pourquoi proposer de multiples activités : commerces, hôtel… ?
A-V-K.
Les bâtiments qui fonctionnent le mieux sont ceux avec une multi activité, tandis que ceux liés à un programme particulier ne vivent pas, ou sur un rythme pendulaire… La combinaison crée une activité permanente, elle permet aux gens de se croiser. De plus, il vaut mieux densifier ce qui existe déjà plutôt que de grignoter des territoires, d’aller en périphérie des villes… Cela redonne de l’intérêt au cœur de ville et Troyes en est un exemple. Les Réunis permet aussi à l’environnement proche de profiter de ce dynamisme, mais cela demande du courage de la part des investisseurs comme Galia, et des acteurs politiques locaux, car cela prend du temps.

O-W.Votre métier est finalement proche de celui d’un archéologue…
A-V-K.
A cette différence que lui fouille et détruit au fur et à mesure pour accéder à la connaissance, quand notre travail consiste à déceler ce qui existe pour proposer un arbitrage sur ce qui sera ou non conservé. Je comparerais davantage notre approche à celle de l’enquêteur. Notre objectif est de comprendre pourquoi le bâtiment a été construit à cet endroit, de cette façon, dans quel mouvement se situe l’architecte : était-il d’avant-garde, membre d’un groupe, assurait-il la promotion d’un matériau ? C’est ce qui nous permet d’identifier le référentiel, l’univers lié au bâtiment. Ensuite, notre intervention est une façon de donner un prolongement à un bâtiment existant ; même si on en change la programmation.

O-W.Avec plus de 45 000 bâtiments protégés au titre du patrimoine, la France est attachée à ses édifices ?
A-V-K.
Il y a une véritable mutation des comportements et de l’appréhension de cette question. Pendant longtemps, les bâtiments appartenaient à lÉtat ou à des privés qui étaient considérés comme des « nantis chanceux ». Les actions comme la Mission Patrimoine de Stéphane Bern ont donné à comprendre qu’il faut les entretenir, que cela a un coût et qu’il faut remercier ceux qui s’en occupent. Cela a aussi révélé que le patrimoine nous entoure, que tout ce qui raconte une histoire est patrimoine et que la France est incroyable à ce titre.

O-W.Patrimoine, monuments historiques, ces notions renvoient au passé. Mais votre travail ne consiste-il pas plutôt à projeter ces lieux dans l’avenir ?
A-V-K.
Nous permettons aux bâtiments de passer le siècle. Cette mission est d’une exigence folle car elle nécessite d’être au fait des technologies et des applications les plus récentes, de savoir les intégrer pour que l’ensemble présente un visage unifié. A l’instar d’une danseuse étoile, qui quand elle se produit sur scène, ne laisse transparaitre que la joie et non sa souffrance, nous voulons supprimer toute notion d’effort de nos interventions. Moins on les perçoit, plus elles sont réputées réussies.

O-W.Votre métier invite finalement à l’humilité ?
A-V-K.
Complètement. L’architecte répond à une commande, c’est donc le commanditaire qui devrait recevoir les lauriers. Nous avons conservé cette tradition de la commande, sans elle nous ne sommes rien. D’ailleurs, 80 % de notre activité est privée et 80 % de celle-ci est confidentielle

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