O-W.Pouvez-vous nous présenter TVK
A-V-K.Nous sommes une agence internationale d’une quarantaine de personnes. Nous couvrons un large spectre de domaines : le bâtiment, pour au moins la moitié de notre activité, l’urbanisme, les espaces publics, la recherche… Nous avons toujours cultivé cette façon de travailler sans segmenter, car ce sont les mêmes questionnements qui nourrissent tous ces sujets…
O-W.Il n’y a pas de barrière entre la théorie et la pratique chez TVK ?
A-V-K.Exactement, les deux s’alimentent mutuellement. Le processus créatif navigue forcément entre ces deux pôles. Il est lié à ce que vous expérimentez, aux idées, aux maquettes réalisées, mais aussi à une dimension théorique : aller chercher des modèles, voir ce qui a été fait dans l’histoire…
O-W.Comment s’est faite la rencontre avec le Groupe Galia ?
A-V-K.Chez le notaire ! Galia nous a vendu les locaux dans lesquels nous avons installé notre agence. Nous nous sommes rencontrés à la signature et entre un groupe immobilier et des architectes urbanistes, la possibilité de travailler ensemble s’est faite jour.
O-W.Parce que vous partagiez des valeurs communes ?
A-V-K.Galia est un groupe atypique dans le paysage des opérateurs immobiliers. Ils travaillent dans le sur-mesure. Avec un promoteur habituel, tout est codifié, on ne sort pas du cadre, alors qu’eux sont dans une démarche de recherche. Il existe une dynamique créative, des perspectives. C’est l’ouverture d’esprit qui nous réunit.
O-W.Quelle était la motivation pour le projet « Atlas » que vous avez réalisé ?
A-V-K.La complexité ! Il se situe sur un terrain difficile et les enjeux étaient multiples. Notre pratique consiste à proposer plusieurs directions au client. Nous faisons beaucoup de recherches, d’esquisses. Galia a très facilement accepté cette approche.
O-W.Qu’en est-il dans le détail ?
A-V-K.Sur cette parcelle de Belleville se situe un bel immeuble de type haussmannien, dans l’inflexion de la rue de l’Atlas. Une fois passé le porche, une cour se révèle, entourée d’immeubles, dans laquelle se trouve un atelier de pièces mécaniques, malheureusement impossible à restaurer car en mauvais état. Notre conviction était qu’il fallait travailler sur ce cœur d’îlot au charme incroyable, qui révèle comme un monde intérieur. Nous voulions redéfinir l’espace autour de la cour existante, qui retrouve la pleine terre et la verdure, puis d’une autre qui vient s’ajouter. Nous sommes ici en présence d’une typologie fabuleuse : ce tissu typique de faubourg, qui concilie travail et habitat. C’est ce que nous voulions retrouver, car il crée une qualité d’habitat intéressante.
O-W.Comment se traduit cette idée du faubourg du XXIème siècle ?
A-V-K.L’opération mêle différentes fonctions : une salle de sport au niveau -1 ; des bureaux autour des cours arborées au rez-de-chaussée, en R+1 et R+2 ; au-dessus enfin, des logements avec terrasses, bénéficiant de vues sur Paris… Le bâtiment existant voit une construction s’y adosser. Le pignon a été ouvert pour prolonger les espaces intérieurs et offrir une extension aux pièces de vie. Il y a une apparente simplicité dans un environnement qui ne l’est pas. Cette idée de faubourg moderne se décline aussi dans l’écriture architecturale inspirée de l’esprit industriel : l’usage de la brique, le travail de serrurerie des balcons dans un vert très lumineux…
O-W.Un projet de ce type est-il éloigné de vos autres activités ?
A-V-K.Non, cela participe aux mêmes questionnements. Comme nos travaux d’urbanisme et de recherche, Atlas aussi interroge la question du vide, du sol, qui sont des notions qui nous animent. J’enseigne en école d’architecture, où l’on apprend aux étudiants à se concentrer sur les bâtiments, comme si le sol ne participait pas de l’architecture. Or, c’est dans doute ce que l’homme a le plus transformé. Le sol pour nous est une architecture.
O-W.C’est justement le sens de votre installation à la Biennale de Venise 2021, placée sous le thème du Vivre ensemble ?
A-V-K.Oui, Hashim Sarkis, le curateur de la Biennale, nous a demandé d’y réfléchir à l’échelle planétaire. Nous avons proposé une œuvre appelée « La terre est une architecture », pour rendre lisible le fait que l’architecture n’est pas uniquement ce que les humains ont posé sur le sol, mais plutôt le résultat de l’interaction permanente des vivants avec la matière terrestre. La terre est transformée perpétuellement par l’action des vivants et l’infrastructure joue un rôle central de médiation entre la terre et l’homme. L’œuvre se complète par un ouvrage, qui reprend ce travail de manière augmentée.
O-W.Comment avez-vous abordé l’étude « Places du Grand Paris » que vous avez dirigée et qui pose les principes de conception des espaces publics du Grand Paris Express ?
A-V-K.Récemment encore, les projets urbains étaient pensés sous l’angle de la planification : on donnait une vision à 20 ou 30 ans que l’on cherchait à atteindre sans vraiment y parvenir. La planification a inventé le phasage, qui place le projet toujours en attente de la phase suivante… Cette approche est totalement paralysante et nous avons voulu penser différemment pour le Grand Paris. Nous nous sommes inspirés du travail des scénaristes de séries TV, qui font l’inverse de la planification. Ils créent une bible qui définit lieux et personnages, écrivent une première saison sans savoir s’il y aura une suite ni ce qu’elle sera. C’est cette méthode que nous avons appliquée. Partant de l’existant, nous avons réfléchi aux objectifs fondamentaux des espaces publics des 68 futures gares du Grand Paris Express, sans savoir quelle forme cela prendrait. Cette « première saison » peut déboucher sur une autre, ou se suffire à elle-même. C’est aussi ce que nous avons fait avec le projet de la Place de la République : partir d’une réflexion sur les modes d’utilisations, les usages, y compris ceux que nous n’avions pas prévus. C’est ce qui nous a incité à créer ce grand plateau, le plus ouvert possible.
O-W.Qu’est-ce qui vous anime ?
A-V-K.Le temps long. Nous avons débuté notre carrière en menant un grand travail sur le boulevard périphérique parisien qui nous fascinait, alors que cette infrastructure était décriée, et l’est encore. 20 ans après, nous restons passionnés par le sujet, sa transformation… Et cela s’est étendu à bien des domaines !