Philippe CHIAMBARETTA

« LEGENDRE : UN POTENTIEL CACHÉ »

Au premier abord, un ensemble difficile à exploiter en l’état. Dans un second temps, l’élégance d’une géométrie singulière dont une rampe hélicoïdale qui n’est pas sans rappeler l’architecture de certains musées, suscite curiosité et attention…

PHILIPPE CHIAMBARETTAJIMMY DELPIRE POUR PCA-STREAM

Philippe CHIAMBARETTA
Architecte
PCA-STREAM

Au sud du parc de Batignolles, de deux bâtiments hétérogènes dont un garage automobile construit dans les années 60, naîtra très prochainement un lieu de vie, de partage et d’échanges. Au cœur du projet, un hôtel de 64 chambres et un espace de coworking proposeront, à eux deux, un ensemble de lieux de vie ouverts aux usagers comme aux riverains : café, restaurant, espaces de bien-être, de détente, roof top végétalisé, espace événementiel seront autant de motifs de venir de Paris et d’ailleurs pour y passer du temps, pour le travail comme pour les loisirs.

A-B.Legendre, un sujet complexe ?
P-C. Imaginez un semi remorque qui se serait enfoncé dans une impasse… ou l’équivalent de deux ou trois wagons de train enchassés dans le tissu immobilier. Legendre est un bâtiment profond et étroit… Alors, complexe, oui !

A-B.Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Brice ?
P-C.Je suis architecte, c’est donc à ce titre que Brice est venu me voir. Il souhaitait inventer un lieu de travail et comme ce sont des recherches que nous menons depuis des années à l’agence, notamment sur des lieux justement un peu compliqués, son choix s’est finalement porté sur nous. Nous avons envisagé ensemble que Legendre puisse accueillir, à une même adresse, un hôtel, des bureaux, un spa et un lieu événementiel.

A-B.Comment harmoniser des lieux si différents ?
P-C.La question qui se pose est comment peut-on organiser le vivant dans des cadres de vie différents. Doit-on les juxtaposer, les synchroniser ? Et comment faire ? Qu’ont-il en commun ? Ici, ce sera un type de clientèle, celle que l’on pourrait retrouver au Ace Hotel à Londres, à New York ou au Standard Hotel. Mais ce qui rend le projet d’autant plus intéressant ici, c’est le fait qu’une seule et même personne puisse l’exploiter et donc conserver une véritable cohérence, harmonie du lieu dans sa globalité.

A-B.Marchand de biens, architecte, un binôme fondamental ?
P-C. Il y a différents types de marchands de bien, différents types de producteurs (la comparaison avec le cinéma est appropriée). Galia est une petite et encore jeune structure familiale. C’est souvent synonyme de liberté. Et la liberté, c’est le pouvoir. Le pouvoir d’être créatif, de penser en dehors des cadres. C’est pour ça que ce projet nous a attiré. Les petites structures ont une plus grande capacité à innover. Brice a une certaine liberté financière, il est capable de s’engager. Il a aussi une part d’affect, d’envie, d’appétit qui n’est pas uniquement financier. Je ne sais plus exactement qui a poussé l’autre, mais nous étions, de fait, libres de proposer des choses plus inattendues.

A-B.Tous les marchands de biens devraient être créatifs ?
P-C. Pour les plus affairistes (qui font plutôt des logements), le travail nécessite peu d’imagination. Il s’agit de fabriquer des « produits ». Et à Paris, il y a tellement de besoins et tellement peu d’offres en face que le placement est généralement sans risque. Il y a aussi des profils plus corporate, des promoteurs côtés en bourse. Là, le système est simple : on achète, on revend. On entre dans le champ des financiers qui regardent le « produit » comme un actif qui doit être le plus liquide et le plus international possible.

A-B.Un profil de producteurs que l’on rencontre un peu moins aujourd’hui ?
P-C. Avant la crise des subprimes, tout ça tournait assez bien, les financiers faisaient la loi et les projets standardisés convenaient à tout le monde. Après 2010, la pression est montée et il est devenu impératif pour les grosses sociétés d’attirer de nouvelles générations de talents. Ce qui induisait des méthodes de management différentes et donc des architectures différentes.
Quel que soit le sujet, il s’agit toujours d’opérer un ajustement entre des formes d’organisations humaines et leurs correspondances en terme architectural. L’architecture répond à des changements sociétaux ; la manière avec laquelle le marchand de bien appréhende le projet est, elle aussi, assez contextuelle.

« Après 2010, il a fallu faire des « produits » qui ont du goût. »

A-B.Une mutation s’est donc opérée dans les années 2010 ?
P-C. L’organisation du travail fait partie des enjeux de ces dernières années.
Il s’est produit en architecture, dans ces années-là, ce qui se produit depuis quelques années en agriculture avec l’arrivée de l’agriculture biologique. Aujourd’hui, plus personne ne veut manger de tomates lisses et fades. En architecture, à partir de 2010, tout le monde s’est donc forcé de comprendre les attentes et a du créer des produits plus « goûtus ». Comprendre les besoins et s’adapter aux transformations de la société fait partie de notre travail. Ce n’est pas une preuve de créativité, c’est juste du professionnalisme.

« On ne pourra jamais plus reconstruire
un truc comme ça. »

A-B.Alors quel est le « programme » Legendre ?
P-C. Donc, trois éléments : un hôtel, des bureaux et un spa. On a imaginé des espaces collaboratifs et décidé de conserver la rampe de parking pour en faire un espace évènementiel. On ne souhaitait pas faire entrer le public dans l’hôtel par un hall traditionnel. On a choisi de faire entrer par le café, ce qui permet la superposition d’une clientèle d’hôtel et de personnes du quartier. À cheval sur l’hôtel et sur les bureaux, tout en longueur, nous avons imaginé un restaurant en Roof top. Et parce qu’elles sont presque inaccessibles, on a décidé d’aménager certaines des terrasses en jardins potagers. Ce type de projet correspond à une évolution des besoins. Avant, on concevait les bureaux comme des lieux fermés, climatisés. Aujourd’hui, on les veut ouverts sur des terrasses végétalisées.

A-B.Et à l’intérieur ?
P-C. L’hôtel comporte une soixantaine de chambres. L’aménagement intérieur des hôtels n’étant pas notre spécialité, Brice a fait appel à un cabinet de design américain plus expérimenté qui a travaillé en collaboration avec nous, à partir de nos intentions. Le cadre collaboratif est vertueux, les grands projets naissent souvent de cette manière, nous y avons très souvent recours.

A-B.Comment gérez-vous la crise actuelle ? La dimension sanitaire est-elle une donnée que les architectes vont avoir à prendre en compte désormais ?
P-C. Cette crise est un événement très nouveau. Sa compréhension se fera dans quelque temps. Mais selon moi, c’est une donnée qui s’ajoute aux préoccupations de la ville durable.

A-B.Comment fabrique t’on une ville aujourd’hui ?
P-C. Tout ce que l’on conçoit dans la ville doit se faire au service des gens qui l’habitent. Et même s’il y a une dimension créative et artistique dans l’architecture, ce n’est pas celle d’un créateur qui revendiquerait une vision stylistique. Quand on est architecte, on est un peu de tout, ingénieur, penseur…

Il est préférable de se placer du côté des sciences du vivant, pour regarder la ville et l’architecture.

… Mais plus ça va, plus je pense que la dimension scientifique est prépondérante. Peut-être parce que je suis ingénieur à l’origine. L’enjeu n’est pas de répondre à comment, moi, je veux dessiner la ville mais de pouvoir manier, assembler des sujets extrêmement complexes : le champ esthétique, culturel, architectural, les modes de vie, les mobilités, le rapport à la nature, etc. Tous ces éléments constituent une sorte de métabolisme : le métabolisme de la ville.

Une esthétique de l’invisible.

A-B.Doit-on faire du « beau » ?
P-C. L’esthétisme est évidemment dans notre champ de réflexion, à ce titre, nous sommes très engagés dans l’art à l’agence. Mais le « beau » est souvent la pensée dominante d’une époque. Dans les années 90, c’était l’effet waouh par exemple. Aujourd’hui, tout est à inventer, y compris la méthodologie. On ne peut plus faire à l’ancienne, tout aligner. On doit penser une nouvelle esthétique. Dans la mesure ou nous sommes contraints par des données totalement invisibles, comme la réalisation du bilan carbone par exemple, demande « invisible » qui implique un choix dans les matériaux, on va forcément voir se dégager de nouveaux codes, apparaitre une nouvelle esthétique…

Durable, désirable, inclusif

… Mais pour moi, les trois éléments piliers dans l’architecture d’aujourd’hui sont le durable, le désirable et l’inclusif.

A-B.Quelles perspectives pour Paris dans ce contexte ?
P-C. Nous avons réalisé un énorme travail sur le ré-enchantement des champs Elysées. Il est actuellement exposé au Pavillon de l’Arsenal. On a mobilisé une cinquantaine de chercheurs, historiens, scientifiques, artistes pour imaginer un Paris 2030 dans lequel les champs Elysées seraient, non seulement la plus belle avenue du monde, mais redeviendraient surtout la plus aimée des Parisiens (ce qu’elle a été, on l’a oublié aujourd’hui, pendant de nombreuses années.)

A-B.Les Champs Élysées, un « chantier laboratoire » ?
P-C. Aujourd’hui le sujet de Paris, c’est le grand Paris, notamment comment faire sauter le verrou du périphérique. Le centre de Paris est devenu très exclusif. Il se dit que chaque enfant nous éloigne d’une dizaine de kilomètres de Paris. Et la pression immobilière fait qu’il sera très difficile de rendre Paris à tout le monde. Dans cette perspective, il est indispensable de limiter les effets pendulaires, régler les problèmes de transport… Paris est un peu comme un organisme malade. On sait que l’on a de nombreux leviers à activer mais, encore une fois, comment les organiser entre eux ? C’est une démarche presque scientifique. Imaginez un traitement qui soignerait l’arthrose mais qui rendrait obèse. La ville est un sujet systémique, beaucoup plus large que l’architecture. C’est un système de santé à considérer dans son ensemble.

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